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Antoine PONCET - "l’art de faire des sculptures heureuses de vivre"

" S’il est difficile de repousser la matière dans ses derniers retranchements pour obtenir le sentiment de plénitude, c’est cette sorte de difficulté presque insurmontable qui me passionne. Pour faire de la sculpture, il faut vouloir vivre la matière, la comprendre, l’aimer… », confie Antoine Poncet, Vice-Président de l’Académie des Beaux-Arts. Et d’ajouter « Ce n’est pas facile de faire une sculpture qui a l’air heureuse de vivre ».

Olivailles, marbre blanc de Carrare, 1993

Dans sa recherche de l’harmonie, Antoine Poncet travaille depuis toujours les matériaux nobles, le bronze, les pierres dures et le marbre. Il va jusqu’au bout de la forme pour s’approcher de l’essentiel et parvenir à l’évidence des formes et de la matière à travers un équilibre subtil quasi magique. Ses sculptures nous plongent au cœur du mystère. Elles mettent nos sens à l’épreuve pour décrypter les méandres intimes de l’âme et révéler la passion de la vie.

Fils du peintre et verrier Marcel Poncet et petit-fils par sa mère de Maurice Denis, peintre nabi de Saint Germain, Antoine Poncet grandit dans une famille d’artistes. Il côtoie Bourdelle, ami de ses parents qui lui donnent le prénom d’Antoine en l’honneur de ce sculpteur, et aussi Germaine Richier.

Les ailes de l’aurore, marbre blanc de Carrare

En 1939, la famille Poncet part pour la Suisse et s’installe à Lausanne où Marcel Poncet est nomme professeur à l’Ecole des Beaux-Arts.

Don quichotte(détail), plâtre, 1950

Le directeur est le sculpteur Casimir Reymond, ami de Marcel Gimond et parrain d’Antoine. Il accueille le jeune Antoine dans son atelier et lui fait découvrir la sculpture. Elève de l’Ecole des Beaux-Arts de Lausanne de 1942 à 1945, il se forme aussi auprès de Germaine Richier à Zurich. Dans son atelier, il parfait ses connaissances en sculpture, assimile de nouvelles techniques, apprend à modeler la terre, mais se sent plus témoin qu’acteur. A cette époque, il sculpte des œuvres figuratives, en particulier un Don Quichotte, et aussi des œuvres d’inspiration religieuse. Sa production artistique est dans la lignée de Gimond, Malfray ou encore Despiau.

Flamboyante, bronze patiné, 1975

Sur les conseils de Germaine Richier, il rentre à Paris en 1949 et retrouve sa famille maternelle à Saint-Germain-en-Laye. Devenu boursier de l’Etat français, il poursuit sa formation artistique à l’Académie de la Grande Chaumière. Cléopâtre Bourdelle, la veuve du sculpteur Antoine Bourdelle, lui propose un atelier dans les locaux de l’actuel Musée Bourdelle. De 1948 à 1950, il est l’élève de Zadkine et de Gimond, et il se lie d’amitié avec Penalba, Etienne-Martin, Stahly. Zadkine, cherche à lui imposer non seulement son style cubiste, mais aussi sa technique de la terre chamotée frappée à la gouge, technique qui ne lui convient guère. De lui, il retiendra pourtant la passion de l’art et un enthousiasme de tous les instants.

A cette époque, progressivement, sans heurt ni rupture théâtrale, son style évolue « tranquillement », à sa cadence.

Ailaborée, marbre rosa aurora, 1984

« J’apporte dans ce travail mon propre rythme, ma respiration naturelle ; mon aventure n’est pas liée à la précipitation de notre époque. Il y a une certaine volupté dans mes sculptures qui s’épanouit lentement, car la volupté n’est jamais rapide. Cette évolution lente et réfléchie, qui l’éloigne de la figuration, se nourrit de

Opaque, bronze patiné, 1977

l’expérience de ses aînés et de ses contemporains. A la croisée d’influences multiples et variées, il va absorber leur apport, et le « digérer » pour le restituer revu à sa façon, parfaitement sien, donc différent des autres. A tel point qu’il va qualifier cet exceptionnel tribut, d’échange « anthropophagique ».

La voie artistique toute personnelle qu’il se trace avec une apparente facilité, ne doit pas faire oublier les efforts déployés pour parvenir à cette expression remarquable de la forme pure où se côtoient spiritualité et sensualité, une forme lumineuse, vivante, toujours en mouvement, merveille d’équilibre et d’harmonie : "La part du mouvement est essentielle dans mes recherches. Tout est mouvement dans la nature, dans la vie. Comme le fil-de-fériste, une fois le pied engagé, il faut marcher jusqu’au bout, fidèle à la recherche de l’équilibre. Ce maintien de l’équilibre est indispensable pour la sculpture repoussant de la paume des mains tout ce qui dépasse et peut faire chuter, retenant dans l’enveloppe apparente, cette vie rare et inexplicable, comme l’eau vivant entre deux rives. »

Ténébreuse, bronze patiné, 1977

Forme s’appuyant sur elle-même, bronze poli, 1959

En 1952, il épouse Florence Cuendet, sa muse fidèle et attentive depuis plus de cinquante ans, et installe son atelier dans la maison de famille de Saint-Germain-en-Laye. L’année suivante, il entame sa collaboration avec Jean Arp, rencontré en 1951, et il évolue alors vers l’abstraction. Jean Arp lui confie différents travaux, dont le « Berger des nuages », conservé au Musée National d’Art Moderne à Paris. A son contact, il apprend à écouter et à révéler ses aspirations enfouies et instinctives qui le portent vers un langage des formes libéré de la figuration, un langage qui dépasse la forme vue et reconnue pour accéder à l’essence même du rêve de l’artiste : « Les pierres que j’ai vues dans l’atelier de Poncet, dira Jean Arp, sont des pierres de rêve. Elles ont jailli en pleine joie printanière. Ces rêves sont une grâce de la nature infinie. Ces rêves sont une grâce de ce qui est derrière la nature ».

Marina Flower, bronze patiné, 1984

Libéré de la forme conventionnelle, Antoine Poncet interprète la nature conçue comme source d’inspiration, prétexte plastique et référence émotive. Ses travaux le portent vers la recherche de formes d’une pureté

Lorgnon, marbre rose aurora, 2003

originelle à signification symbolique et sa sculpture se teinte de poésie. Il lui apparaît nettement que les rapports entre la forme et les forces qui s’exercent sur elle importent plus que l’apparence immédiate. Il peut de ce fait accéder à une voluptueuse harmonie et à la plénitude des sens : « Dès ce moment, je réalisais que les seules vérités dans le marasme et la confusion actuels, sont la poésie, l’imagination, la spiritualité, l’humour. En effet, il me semble indispensable que l’œuvre abstraite soit dans une ossature formelle interprétable, fluide, c’est-à-dire qu’en plus de l’apport du métier, de la nature de l’artiste, l’œuvre présentée seule, sans phrases, devant le spectateur soit pleine d’intentions déchiffrables par l’esprit poétique, imaginatif, humoristique propre au spectateur. »

Elévation, marbre blanc de Carrare, 2000

Formechat, bronze poli, 1957

Sa carrière est lancée. En 1952, il est présent au Salon de la Jeune Sculpture, au Salon des Réalités Nouvelles, et à celui de Mai. En 1956, il participe aux Biennales de Venise et reçoit l’année suivante le Prix André Susse de l’Académie des Beaux-Arts. En 1959, il réalise sa première exposition personnelle à la Galerie Iris Clert à Paris.

Il travaille alors la terre et fait porter sa recherche sur la masse interne de l’œuvre qui déploie ses forces sur la paroi, laquelle résiste, et la contraint à des contorsions et retournements où vient jouer la lumière. Parlant de sa création, il explique : « C’est au départ dans la glaise que je travaille. Pouvoir ajouter ou retirer la matière donne au sculpteur la rapidité de création du peintre et du graveur et, comme cela, il occupe rapidement les trois dimensions. Pour saisir au vol les volumes et les placer en ordre, en équilibre charnel, les tordre puis les calmer dans la force de la main. Pour les mettre à leur place, la glaise est irremplaçable. Après, c’est le lent travail de réalisation qui fait passer l’esquisse spontanée dans le matériau durable. La force intérieure du matériau, son lien profond avec la terre (pour le marbre et le bronze), enrichit l’esquisse modelée amoureusement. Mais la construction équilibrée entre les mains du sculpteur, construite par lui, enrichit à son tour, grâce à l’intelligence et à la réflexion, la matière qui s’offre à lui. »

Persistante, marbre noir de belgique, 1996

Fluide, marbre blanc de Carrae, 2003

Il a non seulement trouvé sa voie, son style, mais encore son matériau : le bronze. C’est à l’occasion d’une rencontre avec le fondeur André Susse que le bronze vient à sa rencontre. Susse, très intéressé par les sculptures en plâtre de l’artiste, lui propose de les fondre. Antoine Poncet accepte et découvre alors la magie du bronze poli qui métamorphose les formes et leur confère une joie de vivre qui devient sa marque artistique. Le bronze poli est parfaitement dans le goût de l’époque, les américains en sont friands et vont jouer un rôle actif dans le succès de l’artiste.

Apprivoiser la lumière, la capter, la retenir, l’inciter à dialoguer avec la forme, à la sublimer, tel est le pari réussi d’Antoine Poncet.

Lumineuse, bronze poli, 1998
Kaola pink, marbre rosa aurora, 1991

A la fin des années 50, lorsqu’il sculpte des oeuvres comme « Mesure lumière », « Piège solaire », « Miroir à deux faces », la lumière est capturée par la forme et retenue prisonnière dans ses courbes envoûtantes.

La matière se met à trembler, à s’animer, à scintiller. La lumière rend l’œuvre changeante et donc multiple. Elle conduit le spectateur dans le domaine de l’illusion. L’impression ressentie est celle d’un chatoiement d’ondes voluptueuses et fluides qui s’enroulent et se contorsionnent sans fin à l’intérieur des contours de l’œuvre. Sous nos yeux, la matière devient mouvante, vivante et radieuse. Le métal, pourtant si dur et inerte, est perçu en fusion dans les contours de la forme. L’œuvre peut alors se métamorphoser sans fin, elle danse, elle vibre, elle hypnotise et ensorcelle. Elle fait sa place dans l’environnement, s’intègre et participe à l’harmonie générale.

Fou de bassan, marbre noir de Belgique, 1999

En 1959, l’exposition de bronzes polis à la galerie Roques est une étape très importante dans la carrière de l’artiste. Il vend la majeure partie de ses créations et se fait connaître aux Etats-Unis. Sa première exposition outre Manche est organisée à New York.

En 1964, sa carrière prend un nouveau tournant. Il rencontre l’écrivain vénitien Giuseppe Marchiori qui lui fait

Si jamais, marbre blanc de Carrare, 1997

connaître les carrières de marbre de Carrare. Au pied des hautes falaises immaculées, il côtoie Marino Marini, Henry Moore, Jacques Lipschitz, Arnaldo Pomodoro. A Carrare, ses rêves se teintent des couleurs délicates des marbres, il taille dans la masse des blocs et retrouve les gestes ancestraux de ses illustres aînés italiens. Le marbre exerce sur lui une attraction que l’on peut qualifier de physique. Pour lui, le marbre n’est pas un bloc inerte et froid, c’est au contraire un écrin qui renferme des formes qu’il est le seul à entrevoir. Au-delà de la rugosité apparente, il imagine, et même, « il voit » les formes lisses, courbes, épurées, élancées immaculées s’il s’agit de marbre blanc, couleur d’encre pour le marbre

Retour d’exil, bronze patiné, 1987

noir. Il perçoit et « ressent » la lumière sur l’œuvre qu’il fera éclore dans son atelier.
Ses sculptures semblent jaillir de la pierre qui les retenait prisonnières, la lumière leur donne vie, les courbes s’animent, leurs orbites grandes ouvertes regardent le monde, leurs ailes s’apprêtent à leur faire prendre le large. Ce qui est à l’intérieur du bloc de pierre, que l’artiste a su deviner, apparaît au grand jour, avec ses lignes de force, mais aussi ses faiblesses parfois, ses veines apparentes, sa vie d’avant sa naissance orchestrée par l’artiste.

Sur le fil, marbre blanc de Carrare, 1987

Sur le marbre, le sculpteur laisse l’empreinte de sa main, de son travail patient. L’œuvre de marbre est unique, il y a un rapport de proximité extrême entre le sculpteur et l’œuvre taillée dans le marbre. Cette proximité n’existe pas avec l’œuvre en bronze qui nécessite l’intermédiaire du fondeur pour exister. C’est à ce titre que l’on peut parler de véritable sentiment amoureux de l’artiste pour cette matière noble qu’est le marbre. Et s’il ne devait choisir qu’un seul marbre, ce serait le marbre blanc, car la sensualité des œuvres de marbre blanc est sans égal.

Gyroscope, bronze patiné, 1987

Lorsqu’il n’est pas à Carrare, Antoine Poncet sculpte dans son petit atelier parisien, mais aussi dans celui qu’il possède près de Thoiry. Il peut s’adonner à ses recherches sur la forme pure, la forme qui depuis toujours guide le travail de l’artiste. C’est la forme qui mène le jeu de l’élégance. Libérée, vivifiante, joyeuse, elle donne l’essence de la pensée de l’auteur. L’acte créateur de l’artiste s’intègre dans la nature pour lui conférer son dynamisme et sa vigueur. C’est une recherche sur la forme essentielle, épurée, une idée, un sentiment, un élan mystérieux et onirique. L’œil, dans sa vision fugitive reconnaît une forme animale, un oiseau (« Le fou de Bassan »), une libellule, un insecte (« Insecte stellaire » 1958, « Insecte marcheur » 1960), un corps de femme aux formes charnues et voluptueuses… L’instant est à la poésie, au ravissement des sens.

Ochicagogo, travertin Soraya, 1969-1975

L’artiste cherche dans la ligne d’une courbe, dans le jaillissement de la matière, dans l’équilibre tendu des lignes, le secret de sa création. Ses œuvres sont bien ancrées dans la terre, mais elles se dressent et se hissent vers un ailleurs empreint de spiritualité. De là, toutes ces ailes, ces formes jaillissantes, ces flammes superbes qui montent vers le ciel. Et pour faciliter leur ascension, des trouées sont parfois aménagées dans les formes rondes et charnues (« Sensoraya », Ochicogogo », Translucide »…), de manière à les alléger et faciliter leur essor.
L’artiste parvient à un équilibre des forces contraires ; les unes aspirent la forme vers le ciel, vers l’immatériel, et les autres la retiennent enracinée au sol. Certaines œuvres, par exemple « Le pulpier », sont tellement tendues vers le ciel, que leur forme effilée à l’extrême dans son effort pour s’élever, semble sur le point de quitter la terre tant la surface de leur assise au sol est ténue. Parfois, c’est un trépied en forme de serre d’oiseau qui les maintient au sol de peur qu’elle ne prennent leur envol : « Forme coupe vent », « Mesure solaire », « Piège solaire »…

Oeufsnyx, bronze poli, 1971

Tout au long de son œuvre, son rapport à la lumière est une constante. La lumière est une évidence en ce qui concerne les bronzes polis

Inébranlable, marbre blanc de carrare, 1976

de ses débuts, elle est également bien présente, et de façon très subtile, dans ses bronzes patinés et ses marbres. Ses œuvres témoignent de son amour de la matière, de sa connaissance des matériaux et de son extraordinaire maîtrise des techniques. C’est un innovateur, mais il ne se souci pas d’être le premier.

En 1993, Antoine Poncet est élu à l’Académie des Beaux-Arts, comme le fut son grand père maternel Maurice Denis. Dans son discours de réception, Jean Dewasme, s’adressant au nouvel académicien, déclare : « Vous exprimez très clairement les moyens physiques et visibles de votre création et ses conséquences émouvantes. Le sérieux ne bloque pas. Il concentre l’action. Il permet l’épanouissement des sensations les plus subtiles. »

La Hulpeuse, résine, 1980

Depuis le début de sa carrière, Antoine PONCET participe à des expositions personnelles dans le monde entier : Lausanne, Berne, Anvers, Luxembourg, Paris, Marseille, Vichy, Metz, Montréal, Londres, Amsterdam, New York… Présente dans les principaux Musées américains et européens, son œuvre figure également dans de nombreuses collections particulières. On lui doit plusieurs sculptures monumentales en France, notamment à l’Ecole

Pulperose, marbre rose aurora, 1968

Polytechnique de Saclay, à l’Ecole Nationale d’Administration de Paris, à l’université de Besançon, au lycée de Saint-Brieuc et de Nantes, mais aussi en Suisse, aux Etats-Unis, au Japon, en Chine.

Ses travaux lui ont rapporté de nombreuses récompenses parmi lesquelles le Prix André Susse en 1957, le Prix Henry Moore du Musée de Hakone au Japon...

De l’intimité de son atelier parisien aux somptueuses carrières de marbre de Carrare où il sculpte ses pièces monumentales, l’œuvre d’Antoine Poncet témoigne d’une création transcendée par l’amour de la matière, de la forme, de l’équilibre harmonieux et du caractère quasi magique de son rapport avec la lumière. L’artiste nous révèle dans ses sculptures « la face heureuse de la sève », pour aider ses semblables qui sont dans la peine, laissant aux autres le soin d’exprimer le malheur. Ses créations sont un hymne à la vie, à la joie. Elles véhiculent la poésie et la spiritualité, et nous transportent avec bonheur aux limites du rêve.

Le sculpteur Antoine Poncet

Jean-Charles HACHET, Arts et Biologie , mars 2008

Voir aussi La gazette des Arts no 6 (décembre 2008-janvier 2009)

Les Grands Maîtres de l’Art
Peintres, sculpteurs, photograhes.
Edition d’Art- La Gazette des Arts-2013

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