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César

Dans notre XXe siècle, l’oeuvre de César prend valeur de témoigage de l’évolution de la notion d’art. C’est l’une des plus extraordinaires, des plus fulgurantes de notre temps. L’une des plus connues, l’une des plus intéressantes aussi.

Le sculpteur a su s’intégrer parfaitement à son temps, au contexte industriel et technologique, et il a su tirer avantage de l’immense progrés scientifique de l’après-guerre. La technologie, en lui fournissant une puissance sur la matière jusqu’alors inégalée, a fait basculer sa sensibilité manuelle et artisanale dans le domaine de l’action.

César dans son atelier

Personnalité exceptionnelle et riche, César est à l’origine d’une véritable explosion des formes. Sa nature foisonnante a donné naissance à une sculpture pleine d’imagination, de spontanéité, d’audace et de vitalité. Sculpteur amoureaux de la beauté pure, il n’est prisonnier d’aucun style, d’aucun mouvement esthétique : "Je ne me laisserai jamais enfermer dans une théorie, une morale, une vérité", professe t-il depuis toujours.

Tout son art repose sur un profond intinct de la matière et une remarquable intuition poétique. Sa démarche artistique suit toujours une logique implacable, celle du matériau qu’il utilise. Qu’il s’agisse du fer, du polyurétane, du plastique ou du bronze, il donne libre cours à ses impulsions créatrices pour repenser sans relâche l’acquis précédent.

Assemblages, compressions, expansions, empreintes anatomiques, interprétation de la figure humaine et animale, autant de repères qui jalonnent l’aventure sculpturale de César.

Compression dans l’espace, boîtes de caviar Pétrossian

Dans les années cinquante, pour ses premières réalisations, il choisit le fer, matériau facile à travailler, car très malléable et surtout très bon marché. En ce sens il répond parfaitement au désir de l’artiste de trouver une solution à l’élaboration d’une sculpture originale dans une matière peu coûteuse et définitive car à cette époque il manque de moyens. Au début, il emploie du fil de fer très mince qu’il apprend à aplatir, à tordre, à distendre. Puis, à Trans en Provence, dans une petite usine appartenant à des amis, il fait ses premiers essais de soudure et découvre les possibilités offertes par la ferraille et les déchets industriels. Dès 1953, il commence à assembler des fragments de pièces de machines et comprend qu’il "tient" les éléments de son langage.

De retour à Paris, il installe son atelier dans une usine à Villetaneuse, dans la banlieue Nord de Paris, près des tas de ferraille. Il travaillera là pendant douze ans. Ses sculptures naissent du métal, de l’amoncellement des tiges, boulons et pièces de récupération. Au fur et à mesure qu’il crée, il apprend à plier la matière à sa volonté et découvre une liberté jusque là inconnue qui lui permet de jouer à sa guise avec le matériau pour le métamorphoser au gré de ses trouvailles.

Pendant les dix premières années de son activité, le thème majeur de sa création est l’animal et il commnse la réalisation d’un bestiaire fantastique, faune étrange semblant parfois sortie du fond des âges. Entre ses mains prennent forme des insectes énormes et une quntité de de gallinacés, merveilles d’humour et d’invention. Le choix de ces animaux est dicté par le fait que leur configuration se prête parfaitement à la recherche de l’artiste qui contraint la matière pour révéler un volume en équilibre sur une ou deux pattes.

A la fin des années cinquante, la bipolarité abstraction/figuration déjà entrevue dans sa production artistique, s’affine nettement. Il crée à la fois des pièces figuratives "Petit déjeuner sur l’herbe", "L’homme de Draguigan", et des pièces abstraites, en particulier sa série de plaques en relief, parmi lesquelles "L’hommage à Nicolas de Staël" (1958) constitue une remarquable réussite de transposition d’un style pictural à la sculpture. Ce procédé des touches accolées a ouvert la voie à toute une série de grandes plaques auxquelles on peut rattacher ses "Valentin" et son "Homme de Villetaneuse" dont les grandes ailes procèdent de la même technique des touches métalliques juxtaposées.

Les plaques en relief sur pied, qui s’apparentent parfois plus au tableau qu’à la sculpture, témoignent d’une recherche de l’artiste liée à la frontalité. Elles exacerbent le caractère obligatoire de la vision de face et vont devenir l’une des constantes de l’oeuvre de César pour aboutir à la représentation monumentale de l’hommage à Eiffel, commencée en 1984 et inaugurée en juin 1989 à l’occasion du centenaire de la Tour Eiffel. Elaborée à partir des poutrelles retirées à la Tour Eiffel lors des travaux de rénovation qu’elle a subi, cette oeuvre impressionnante par ses dimensions (17 m de hauteur, 11 m de largeur), marque pour César non seulement un retour au travail du fer, mais aussi un parti pris d’abstraction pour lequel seule compte la plasticité du matériau.

Compression murale cartons

A postériori, on peut dire que ces plaques revêtent une grande importance dans l’oeuvre de César. L’accumulation des éléments, leur juxtaposition, leurs chevauxhements, leur conception modulaire et répétitive aboutissent à un langage quantitatif de la matière, à une "autoexpricivité" du matériau, prélude aux compressions de 1960.

En 1960, la découverte de l’univers technologique l’incite à utiliser la grosse presse d’une société de manutention de Gennevilliers pour diriger ses "compressions de voitures". Et, au Salon de Mai, il expose trois compressions de voitures, datées, signées. Aussitôt se mêlent sifflets et applaudissements et César devient l’homme du scandale avec ses blocs de férraille d’une tonne. Pourtant , cette aventure des compressions n’a rien d’une plaisanterie ou d’un caprice. La violence

L’ Homme oiseau

extraordinairement emprisonnée dans ces blocs compressés répond au besoin de César de magnifier le matériau et l’objet grâce à un "modelage" réalisé par l’intermédiaire de la machine et non directement par ses mains.

Il faudra plusieurs années à César pour prendre la juste mesure de l’acte des compressions et en saisir nettement tous les aspects : primauté du langage quantitatif, introduction dans l’art d’un objet industriel arraché à son cadre de production, utilisation du potentiel d’expression plastique d’un objet parvenu à son stade terminal d’utilité.

Dès 1961, il va plus loin dans son expérimentation du pouvoir expressif de la compression et pendant les trois années qui suivent, il éprouve les potentialités de ce surréel métallique avec ce qu’il nomme les "compressions dirigées". Il ne se contente pas du seul constat de la forme engendrée par la machine et, en cours de réalisation, il intervient en provoquant "l’accidentel", "la rupture", qui est un moyen de contrôler l’action.

Après ses compressions historiques de 1960 et ses compressions dirigées, César va réaliser plusieurs séries successives de compressions : blocs cubiques (1963), compressions de motocyclettes (1970), micro-compressions d’objets insérés dans des panneaux de bois (1970), compressions transparentes de plexiglas traité à chaud, compressions de bijoux (1971), compressions de cartons encollés (1976), portaits de compressions (1981) compressions de voitures championnes Peugeot Talbot (1985/1986), compressions "Olio-Fiat" (1987), compressions cubiques de bois metalliques (1988).

César - Le Centaure

Les compressions apparaîssent comme la charnière de l’oeuvre de César. Et, dans cette aventure, l’artiste apparaît, au delà du travail fourni par la machine, comme le grand ordonnateur des formes.

En 1965, comme avec la presse de Gennevilliers qu’il avait utilisée pour ses compressions, César va de nouveau détourner un instrument de son but, le pantographe, appareil qui sert à agrandir l’objet de référence. L’associant à ses préoccupations anthropomorphiques du moment, il se donne comme dessein de faire des extensions d’empreintes humaines. Ainsi, il moule son pouce, l’agrandit à 47 cm de haut et le moule en matière plastique rose translucide. Il lui donnera ensuite une multitude de tailles, jusqu’à 2 m et le fera couler en acier et en bronze. En 1988, le pouce sera même porté à 6 m de hauteur et érigé à Séoul à l’occasion des Jeux Olympiques . César fera par la suite d’autres empreintes humaines : le sein, le poing, la main...

En 1967, César découvre la polyuréthane et, pour le Salon de Mai, il réalise en public une "expansion", oeuvre étrange composée de

La caméra

quarante litres de cette matière qui, en s’écoulant librement, se dilate et se coagule dans l’air en de lourdes vagues. Au travers le polyurétane, l’artistre recherche la forme libre, qui exprime le langage du matériau lui-même, "quelque chose de sensuel et de compact". Progressivement, les expansions vont se nuancer de teintes de plus en plus subtiles et délicates et César va mettre au point une technique pour assurer leur conservation car, en l’état, elles ne sont que des oeuvres éphémères.

A la fin des années 1970, César atteint sa véritable vocation grâce au bronze. Cet alliage lui permet de donner une importance et une élévation à toutes les disciplines qu’il a abordées : modelage, soudure, collages, assemblages. Il peut alors décupler sa force de production, réalisant un millier de sculpture en bronze alors qu’il n’en avait fait que 800 environ en fer.

La poule à ailettes

Les premières reproductions en bronze de ses sculptures en fer soudé ont été entreprises par ses marchands qui, en avec son accord, ont fait couler en bronze ses animaux, ses nus de Villetaneuse, ses "valentin" et autres hommes ailés. Au départ simple spectateur de cete transposition de matière, César réagit bientôt et commence un long travail de recréation de ses pièces. Moulées, agrandies, retravaillées, elles ne conservent parfois au stade final qu’une ressemblance lointaine avec la piece de fer soudée à l’origine..

Amoureux du travail bien fait, artiste consciencieux, perfectionniste et respectueux de l’ouvrage, César est d’une exigence sans limite dans sa manière d’aborder le travail du bronze. A partir du modèle original, il ne cesse de modifier une attitude, de changer une tête, une patte, une aile...Vis à vis du bronze, il se comporte comme il le faisait avec le fer et, lorsqu’il se rend à la fonderie au moment de la coulée de ses oeuvres, il intervient comme s’il était dans son atelier. Sans ce contenter de surveiller la reproduction servile de sa sculpture, il ressoude les pièces supplémentaires, modifie, revoit encore un détail... C’est dans ce contexte qu’ont été repensés et recréés en bronze ses premiers insectes et gallinacés en fer soudé et qu’a vu le jour sa série de poules patineuses. A travers ses sculptures, César s’intéresse, comme pendant la période de Villetaneuse, à l’équilibre d’un corps sur une ou deux pattes, équilibre rendu ici instable à cause des patins à roulettes.

Ainsi grâce au bronze, son bestiaire fantastique commencé avec le fer, prend de l’ampleur. Ses nombreux insectes et gallinacés,

Le Corbeau ; bronze

ses "valentin", ses nus, ses plaques vont pouvoir traverser le temps sans dommage et attendre le jugement de la postérité.

L’art de César est à facettes multiples . Au cours de sa carrière, il a emprunté diverses voies, mais il n’y a jamais eu de rupture dans ses travaux. Pendant les compressions, il continuait à travailler sur des sculptures en ferraille, pendant les expansions il est aussi revenu à des recherches antérieures, dans les années 1970 il a refait des collages et des compressions d’objets...

Dans son oeuvre il y a , au -delà de la variété, une continuité ou plus exactement une juxtaposition de différents langages. Ce mode de création se perpétue aujourd’hui et César, magicien dans ce domaine de l’art plastique, manifeste toujours franchement ses conceptions, avec audace et spontanéité. Son oeuvre rayonne de force à l’image de son Centaure érigé sur la place de la Croix -Rouge à Paris en hommage à Pablo Picasso.

C’est là tout le talent de César. il entraîne son époque, il est de son époque, il la vit intensément avec son intinct de la matière sans pareil et l’apport technologique de son temps.

J.CH Hachet avec César

Jean-Charles HACHET, Arts et biologie, 1996

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