Accueil > Art - Les principales publications > Articles > Géricault et ses trois tombeaux
Géricault et ses trois tombeaux
Portrait de Théodore GERICAULT par le peintre Louis-Alexis Jamar

Né à Rouen le 26 septembre 1791, Théodore Géricault meurt prématurément le 26 janvier 1824. Il est alors âgé de trente-trois ans.
Avec lui, c’est un immense artiste qui disparaît ; au cours de cette vie si courte, il réussit grâce à son talent à marquer son époque. De nombreux artistes, peintres ou sculpteurs qui lui sont contemporains vont sans nul doute subir son influence comme Eugène Delacroix ou encore Barye à travers ses modèles animaliers.

Dès son plus jeune âge, il se passionne pour les chevaux qui constituent pour l’artiste une source d’inspiration privilégiée ainsi qu’en témoigne son œuvre dans laquelle l’animal est très présent dès ses premiers dessins C’est par ailleurs un excellent cavalier, il monte régulièrement à cheval et s’intéresse aux courses de chevaux.

Ironie du sort tragique, cette passion va lui coûter la vie ; il mourra en effet après plusieurs mois de souffrances, des suites d’une chute de cheval.
En 1822, peu après son retour d’Angleterre, il fait une première chute dont il se remet, apparemment guéri d’un abcès dont il souffrait au côté gauche. ; cependant une lésion non détectée à la colonne vertébrale demeure et va s’aggraver après deux nouveaux accidents en 1823 qui vont définitivement le condamner à s’aliter. Il décède un an plus tard au terme d’une longue agonie, laissant une œuvre inachevée.

Tombeau de Géricault, cimetière du Père Lachaise, Paris

Après sa mort, le corps de Géricault est provisoirement déposé dans un caveau appartement à la famille Isabey au cimetière du Père Lachaise. Cette situation est d’autant plus surprenante que le père de Géricault qui n’est pas sans moyens financiers, avait fait l’acquisition d’un terrain à perpétuité destiné à accueillir le corps de son fils avant d’acheter pour lui même un autre terrain jouxtant le premier. Ce n’est qu’à la mort du père de Géricault en 1826, que les deux corps reposeront côte à côte.
Enterrés en pleine terre comme des miséreux, aucune inscription ne signale aux visiteurs l’identité des défunts jusqu’en 1841 soit pendant 15 ans environ.
La famille Géricault cependant est issue d’un milieu bourgeois. Le peintre dont les amis et admirateurs sont nombreux est célèbre ; comment expliquer dans ces conditions qu’il soit resté sans tombeau ? la question reste posée.

Ce n’est qu’en 1837 que le sculpteur Antoine Etex, ému autant que révolté lorsqu’il découvre la situation, va enfin s’employer à lui rendre justice. Alors qu’il travaille au cimetière du Père Lachaise à la sculpture d’un monument funéraire, Antoine Etex décide de se recueillir sur la tombe de Géricault qu’il cherche en vain. Aucun monument, aucune inscription même n’indiquent en effet l’endroit où repose son corps. Géricault n’aurait-il point de tombeau ? il ne saurait l’admettre et décide immédiatement de mobiliser ses amis afin qu’un monument funéraire digne de l’artiste soit érigé sur sa tombe.

Antoine Etex, né en 1808 est à la fois peintre et sculpteur. De style néoclassique, il est l’auteur notamment des sculptures allégoriques qui ornent l’Arc de Triomphe à Paris (La Paix et la
Résistance de la France). C’est un artiste reconnu qui jouit d’une certaine notoriété et dont l’agitation autour de cette affaire ne saurait demeurer sans résultat.

Etex se rend immédiatement chez le peintre Horace Vernet, fils du peintre de chevaux Carle Vernet, lequel, il convient de le rappeler, avait accueilli dans son atelier le jeune Géricault alors qu’il n’avait que seize ans. Horace Vernet lui-même avait fort bien connu Géricault avec lequel il partageait sa passion pour le cheval et les folles chevauchées. Tous deux aimaient galoper à vive allure à travers Paris et c’est d’ailleurs, avec Horace Vernet, lors d’une course sur les hauteurs de Montmartre que Géricault fit la chute dont les conséquences lui seraient fatales quelques mois plus tard. Désarçonné par son cheval d’un tempérament fougueux, il se blesse gravement les reins contre un tas de pierre. Carle Vernet n’est d’ailleurs pas sans inquiétude lorsqu’il sait que son fils, qu’il chérit tant, partage avec Géricault des promenades qui prennent le plus souvent l’allure d’équipées sauvages. Il qualifie même Géricault de « fou » tout en appréciant son travail par ailleurs. Sans doute n’a t il pas tout à fait tort sur ce point, Géricault lorsqu’il est à cheval se laissant parfois griser par la vitesse sans toujours en mesurer le risque.

Monument funéraire de Géricault, musée Carnavalet, Paris

Les Vernet dans un premier temps accueillent ce projet de tombeau porté par Etex avec réticence ; la famille de Géricault est fortunée et il ne faudrait pas entreprendre une action dont les proches pourraient prendre ombrage. Cependant Etex sait se montrer persuasif : nul ne saurait faire obstacle à une entreprise visant à rendre justice à un artiste tel que Géricault dont l’immense talent est reconnu.

Antoine Etex met immédiatement en place une commission composée de personnalités éminentes comme Eugène Delacroix, ayant pour objet de sélectionner le meilleur projet pour le monument funéraire de Géricault au cimetière du Père Lachaise. Les artistes intéressés sont invités à participer à un concours prévu à cet effet. Parallèlement une souscription est lancée pour financer l’opération. Malheureusement cette souscription se révèle peu fructueuse si bien que le projet n’est pas très attractif et décourage bon nombre d’artistes. Devant la faible participation, Antoine Etex qui au départ n’avait pas envisagé de concourir, décide d’envoyer deux modèles en plâtre. C’est finalement l’un d’entre eux que le jury retiendra. Le monument représente Géricault allongé, manifestement en état de souffrance, tenant une palette à la main. Sur la base un bas-relief rappelle son tableau « Le Radeau de la Méduse » (1).

Beaucoup de souscripteurs y compris parmi les plus riches ne donnèrent pas suite à leurs engagements si bien que la somme réunie est loin de couvrir le coût de l’ouvrage dont la réalisation va durer trois ans. Antoine Etex est contraint d’emprunter pour terminer son œuvre qu’il présente au Salon de 1841 où elle est fort appréciée. Antoine Etex obtient même la Légion d’Honneur.
Après le Salon, le monument est délicatement placé sur son lieu de destination, au cimetière du Père Lachaise à l’endroit où Géricault était enterré depuis 1826. On dirait aujourd’hui que c’est un évènement médiatisé puisque la presse relate abondamment l’événement. Pour Etex et ses amis, une injustice est réparée et qu’importe si Ingres juge cet hommage posthume excessif, et si la famille n’ a pas pris part à la cérémonie.
Quelques mois plus tard cependant, un jeune homme se présente à Etex pour le remercier d’avoir donné un tombeau à Géricault. Ce jeune homme se révèle être le fils naturel de l’artiste né en 1818 d’un amour adultère commencé en 1814 avec la jeune épouse de son oncle maternel, Jean-Baptiste Carruel. Cette liaison qui dure plusieurs années s’avère désastreuse pour l’artiste et pour l’enfant lui-même. Non reconnu par ses parents, il est élevé par son grand père, père de Géricault, dont il ne portera le nom qu’en 1840 à la suite d’une ordonnance royale. L’histoire de ce fils ignoré mérite quelques lignes. En dépit de l’héritage laissé par sa famille, il vit dans un modeste hôtel de Bayeux où il occupe une chambre misérable sous les toits. Peu sociable, on ne lui connaît pas d’amis et il ne parle à personne. Toute sa vie il demeure tourmenté et hanté par le désir de connaître sa mère. Ce désir ne sera jamais exhaussé.

Tombeau de Géricault, bas-relief droit, cimetière du Père Lachaise, Paris

L’histoire du tombeau de Géricault aurait pu s’arrêter là mais au bout de cinq ans, en 1846, survient un premier rebondissement. En effet, on constate que le tombeau en marbre tendre résiste mal au temps et aux intempéries, son état se détériore et impose qu’une mesure d’urgence soit mise en oeuvre. Le conservateur du musée de Rouen, ville natale de Géricault, demande alors que le monument lui soit confié afin d’être mis à l’abri dans les collections du musée.
La décision est prise de transporter le tombeau par voie de chemin de fer jusqu’à Rouen. Malheureusement lors du transport, il va être sérieusement endommagé par un choc malencontreux ce qui va obliger Etex à se rendre sur place à plusieurs reprises pour le restaurer.
Le monument parti à Rouen, Géricault se retrouve de nouveau sans tombeau, ce qui ne saurait satisfaire Etex d’autant que certains souscripteurs manifestent leur mécontentement et vont même jusqu’à le menacer d’un procès pour avoir autorisé l’enlèvement du monument qu’ils ont en partie financé. L’affaire fait grand bruit jusqu’à alerter les plus hautes autorités de l’Etat. Pour arrêter la polémique, Etex est contraint d’assumer en grande partie et sur ses propres deniers le coût du nouveau monument exécuté en marbre et placé au même endroit que le précédent.
Ce deuxième tombeau, haut de deux mètres environ, est orné de motifs décoratifs sculptés représentant une palette recouverte d’une branche de cyprès et d’une fleur d’immortelle.
L’aventure continue car une fois encore, le monument ne va pas rester en place et après trente huit ans, Etex en fait don à la ville de Paris où il est toujours conservé dans l’un des jardins du musée Carnavalet.
Pour comprendre les raisons qui ont conduit Etex à prendre cette décision, il faut relater l’histoire du troisième tombeau.
En 1883, à la mort du fils de Géricault, Hippolyte-Georges, on découvre par hasard dans le réduit très obscure où il vivait une petite feuille de papier jaunie sur laquelle il avait exprimé ses dernières volontés.

Tonbeau de Géricault, cimetière du Père Lachaise, Paris, bas relief gauche, cimet

Au terme de ce testament rédigé en 1841, et jamais modifié alors qu’il n’avait que 24 ans, le fils naturel de Géricault, en dehors de quelques bénéficiaires particuliers dont Etex lui-même qui reçoit 2000 francs, donne sa fortune à l’Etat. Conformément aux vœux du donateur, une part importante doit être consacrée à la restauration et à l’embellissement du premier tombeau de son père conservé au musée de Rouen. Il est par ailleurs entendu que le nom d’Etex auteur du monument doit demeurer indissociable de celui de Géricault.
L’Etat confiera tout naturellement cette mission à Etex qui considère que ce travail est aussi un devoir auquel il va s’employer avec le plus grand soin.

Tombeau de Géricault, bas relief face, Cimetière du Père Lachaise, Paris

Sous la direction du sculpteur, le bronze composant la statue, dont celui représentant « Le Radeau de la méduse » qui fait face, ainsi que les bas-reliefs situés sur les deux côtés du piédestal sont entièrement fondus. Le socle sur lequel repose la sculpture représentant l’artiste, constitué de granit de même nature que le piédestal, est orné d’une balustrade en bronze qui souligne et consolide l’ensemble. Le tout étant en parfaite harmonie.
La restauration achevée, ce troisième tombeau est à nouveau mis en place, minutieusement, de manière à ce que le monument posé sur une base faite de pierre, soit parfaitement stable et cette fois-ci demeure pour l’éternité.

A noter que, si Etex, en dépit de ses efforts, n’ est pas parvenu à faire enterrer le fils de Géricault auprès de son père, il a pris soin, de réaliser pour lui, en témoignage de sa reconnaissance, un tombeau de granite issu de la même carrière et placé à l’endroit où il repose non loin de là au cimetière du Père Lachaise.

Géricault, Radeau de la Méduse, huile sur toile (491x716cm), musée du Louvre, Paris

(1) « Le Radeau de la Méduse » faut il le rappeler constitue l’un des fleurons du musée du Louvre.
Il s’agit d’une toile monumentale dont le format est hors norme (près de 5m de hauteur et plus de 7m de largeur) qui prend pour thème un fait divers tragique : le naufrage de la frégate « La Méduse » survenu en 1816 prés des côtes du Sénégal. Géricault se fait conter l’histoire par les deux survivants et reproduit sur son tableau cet épisode tragique où le radeau sur lequel avaient pris place les rescapés arrive prés des cotes après avoir dérivé pendant plusieurs jours. C’est une vision d’épouvante et d’horreur, la plupart des hommes sont moribonds, le visage déformés par la souffrance.
Pour réaliser son projet, Géricault s’isole dans un atelier proche de l’hôpital Beaujon où il peut à loisir observer les agonisants. Des cadavres sont également mis à sa disposition par les médecins de l’hôpital . Son atelier est envahi par une odeur infecte mais qu’importe, il s’agit pour Géricault de puiser dans cet environnement macabre, les expressions des mourants qu’il va ainsi reproduire sur ses personnages avec un réalisme qui s’éloigne presque de l’art pour emprunter à
l’anatomie.
Ce tableau qu’il présente lors de l’Exposition de 1819 reçoit un accueil plutôt réservé. IL rejoindra les collections du musée du Louvre en 1824 à la suite d’une vente après la mort de l’artiste.

Jean-Charles HACHET ; Art et Biologie , décembre 2007

Découvrez les différents ouvrages de la collection J.C. Hachet.

Plan du site | Espace privé | dpx